Profession : défloreuse de vierges
Dans la communauté gitane à Montpellier, une vieille dame déflore les jeunes vierges avant le mariage. Pour la première fois, Palamia alias « La picadora » a accepté de lever le voile sur le rituel du mouchoir dit des « cinq roses », un savoir-faire hérité de mère en fille.
Vierges à tout prix, les futures épouses vivent dans l’obsession d’un hymen intact. Quitte à le soumettre « à réparation ». Par respect pour leurs familles, par peur du qu’en dira-t-on. Échographie d’une tradition ancestrale où la « honra », l’honneur, constitue la clé de voûte de la vertu féminine.
Hermétique. A plus de 70 ans, la pupille de Palamia claque comme la porte d’un coffre-fort. Sous le chignon argenté, rien ne filtre.
Hermétique aux regards des paios (non-gitans), Palamia a toujours farouchement refusé de parler d’elle. Elle, frêle silhouette plissée dans sa robe impeccable. Elle, la veuve Rey, la plus puissante et la plus respectée des femmes de la communauté gitane à Montpellier. Depuis plus de vingt ans, c’est elle qui déflore les vierges gitanes avant le mariage.
Cité Gély, miroir brisé au pied de l’escalier. Mauvais signe. A l’étage, Palamia attend notre visite. Suspecte, discrète, secrète, il faudra un échange en catalan pour défroisser la « dame au mouchoir », la picadora. Seule femme à entrer dans l’arène intime des « fadrines », les jeunes vierges gitanes. Seule « professionnelle » à tirer le diklo (le mouchoir). Un don sacré, un précieux héritage transmis de mère en fille. « Ça vient de race, ça vient de famille, ça ne s’explique pas, ça s’apprend en regardant, c’est comme ça… C’est dans le sang. » Testeuse de virginité. « En ce moment, je m’occupe de trois ou quatre filles. Je fais ça pour voir si la fille est honnête ou pas. J’en ai fait des centaines, je les compte plus maintenant. »
C’est le jour du mariage que la Jaia (grand-mère) passe à l’acte. « On m’appelle le Doigt d’Or ». Là, dans la maison des parents de la future mariée apeurée, au cœur d’une pièce où ne sont autorisées à entrer que les femmes « honnêtes et respectables » de la famille, « la petite s’allonge sur la table ». Palamia raconte. Entre pudeur crue et orgueil viscéral, la vieille « fée » descend les arpèges d’une musique ancestrale jouée à flanc de chair sur une guitare à cinq cordes. « Je lui parle, je la mets en confiance. Après j’enroule le mouchoir autour de mon index et je l’enfonce pour lui tirer les cinq roses ». Cinq roses pour désigner les cinq voiles de l’hymen, raconte-t-on. Cinq taches laiteuses imprimées à vie aux quatre coins et au centre d’un carré de tissu immaculé. « En dix minutes c’est fait. Il n’y a pas de sang et puis, s’il y a un peu de rose, c’est moi qui juge là-dedans. » Dedans, la douleur. Dehors, la clameur. Sous les fenêtres, les hommes attendent le verdict. « Tout le monde chante et pleure. Moi, je ne pleure jamais, sauf quand j’entends le fandango de mon neveu Nino… »
Palamia se rêvait chanteuse. Elle allait devenir picadora, fidèle meneuse d’une rumba à contretemps. Soucieuse du respect de la tradition, aveuglément investie d’une mission-soumission. « La petite, elle a honte, c’est normal, toutes les femmes la regardent. Moi, je la couvre. Il n’y a que moi qui vois et qui touche. » Le temps de révéler les cinq roses. Un bouquet déchiré, gorgé de pétales anachroniques. Au nom du père, à la gloire de l’homme. « Quand je tire, je lui dis que la première rose est pour son grand-père, puis pour son père. Alors là, ça la travaille et elle pleure. » Une fois entaché, le linge est exhibé dans la rue. Preuve suprême de virginité.
Après vingt ans d’expérience, Palamia aimerait passer la main. « Pour tirer le diklo, il faut avoir un certain âge et être une femme irréprochable. J’ai quatre filles et aucune ne veut continuer. Si on n’est pas attirée, c’est pas la peine. »
Assise à côté de Palamia, sa nièce perce le silence. « Je prendrai la relève. Je ne sais pas pourquoi… J’ai toujours aimé ça. » Ou comment enfin effleurer le verbe « aimer ». Pour la première fois.
Le planning familial écoute sans juger
L’hymen. C’est l’obsession des jeunes filles gitanes. L’hymen, leur priorité absolue. Rêve et cauchemar à la fois. Rencontre avec Latifa Drif, conseillère au planning familal de Montpellier, rompue aux « éternelles » questions concernant les « cinq roses ».
Quel est votre discours face à ces histoires de roses et de voiles de l’hymen ?
Nous sommes en position d’écoute et d’échange. Nous ne jugeons pas la tradition. Nous sommes là pour corriger certaines fausses informations. Organiquement, c’est clair, les cinq voiles, ça n’existe pas ! Nous leur faisons un dessin et nous leur expliquons aussi qu’elles peuvent tomber enceintes sans que leur hymen n’ait été percé. Au-delà, rares sont celles qui savent expliquer le pourquoi du rituel. Le sens leur est totalement inconnu. De plus, elles ont une totale méconnaissance de leur corps. Il m’est arrivé d’avoir des questions du type : « Si j’embrasse un garçon, est-ce qu’il peut m’aspirer le voile ? » C’est dire si l’éducation à la sexualité est importante.
Que cherchent les jeunes gitanes en venant au planning ?
Elles sont clairement à l’affût du certificat de virginité. Elles veulent savoir si elles ont « perdu leur hymen ou pas ». Ce document est impossible à fournir par un médecin. A 14 h, elle est vierge, à 15 h il est possible qu’elle ne le soit plus... Ça n’a aucune valeur. Elles viennent également se renseigner sur la réfection d’hymen lorsqu’elles sont en situation de rupture avec le partenaire ou face à un projet de mariage. La rupture avec le partenaire est difficile et instaure généralement un sentiment de culpabilité ce qui les pousse à « réparer ».
Comment vivent-elles leur sexualité avant le mariage ?
Justement, si elles sont inquiètes, c’est qu’elles ont souvent commencé une vie sexuelle mais qu’elles ne veulent en aucun cas perdre leur virginité. Elles ne pratiquent que des jeux amoureux mais cette virginité à tout prix conduit également à des rapports sexuels alternatifs qui sont des facteurs à risques importants en matière de contamination et d’infections.
Les filles qui se soumettent au “diklo “sont-elles aussi nombreuses que ça ?
Ce rituel est très prégnant. C’est une question d’honneur, elles sont soumises à la pression de la famille, du clan, du quartier. Elles redoutent que « les gens parlent ». Le « mouchoir » est intégré par les hommes et intériorisé par les femmes. Il y a une forte problématique de domination masculine.