Promenade dans Montpellier en burqa..

Publié le par Yvon Bertrand







En plein débat sur la burqa, Midi Libre a invité une de ses journalistes à s’immerger dans le centre de Montpellier. Revêtue d’un niqab. Sa mission ?
Etre le témoin muet, sans esprit de provocation ni de polémique, des réactions de la population.

Lundi, 11 h

 La rédaction en chef me propose le projet. Mes yeux s'arrondissent. Je suis partagée entre l'idée d'un reportage fascinant et la peur mêlée de gêne a y être impliquée. Le temps d'une discussion avec mes collègues, et je dit «-oui-». Sans me douter vraiment de ce à quoi je m'expose. Je pense à ma mère qui lit Midi Libre tous les jours.

Mercredi, 8 h 30

J'arrive à la rédaction un peu en avance, habillée comme d'habitude. J'ai pris la précaution de mettre une jupe longue, plutôt qu'un pantalon. Même si je plaisante, je n'en mène pas large.

9 h

Je me prépare. L'essai que j'ai fait la veille n'a pas été inutile tant la tenue est contraignante. Le jilbab, une longue tunique ajustée, traîne jusqu'aux pieds. Il contraint ma poitrine, un petit ruban fermant le col en V. Au-dessus, j'enfile tant bien que mal un grand surplis triangulaire avec un renfort autour du cou. Vient ensuite un premier foulard qui verrouille ma chevelure sur la nuque. Et enfin le niqab, composé de trois couches de tissus, avec une fente étroite pour les yeux et un tulle transparent pour masquer complètement le regard. J'enfile des gants jusqu'au coude. Me voilà barricadée dans la soie : aucune parcelle de ma peau n'est visible.

9 h 20

D'emblée, si le tissu est agréable au toucher, l'accumulation d'épaisseurs le rend étouffant. Ma vision est limitée, comme si je portais des œillères. Je ne suis pas claustrophobe, mais je me sens oppressée.

« La burqa ? Vous n’en trouverez pas en France, ça n’existe pas ici »

9 h 40

 
Avec Vincent, le caméraman, nous roulons vers les halles Laissac. Derrière la vitre, je croise les regards surpris de certains piétons.

10 h

Mon cœur bat plus vite. Je traverse à pieds le Jeu-de-Paume vers la rue de Verdun. Je sens le poids de nombreux regards sur moi. Nonobstant, je m'attendais à des réactions plus violentes : la majorité des passants ne me "calculent" pas. Vers la Comédie, quelques quolibets fusent, souvent jetés par des personnes âgées. « Retourne dans ton pays ! », « C'est carnaval ? », « Mon Dieu ! ». Pourtant, ce sont les femmes qui réagissent le plus vivement, avec des expressions variées, qui vont de la pitié à l'incompréhension ou la colère. Mais, malgré mes craintes, personne n'esquisse un geste déplacé. Je croise une voiture de la police municipale à deux reprises, ses agents me lorgnent. J'arrive à la place de l'Œuf. Un cycliste, venu de gauche, me frôle et manque de me heurter : le niqab m'avait masqué sa présence.



10 h 30

Je croyais que le fantasme de la femme voilée nue sous sa tunique était un mythe, mais je commence à y croire. Malgré le froid ambiant (6°), je suis en nage et je regrette le pull que je porte. Je pense aussi au paradoxe d'être au centre des regards sans pouvoir être reconnue. Je ne suis qu'un amas de vêtements noirs. J'entre à la librairie Sauramps.

10 h 45

 Les lecteurs à côté desquels je me place pour faire semblant de lire les titres des ouvrages changent de rayon. Je réitère l'expérience à plusieurs reprises, avec un résultat analogue.

11 h

Traversée du Polygone. Ambiance plus tendue. Les gens me jettent des regards noirs. Quelques insultes sur mon passage. Sur l'escalator, une fausse blonde d'une cinquantaine d'année se retourne, éberluée. J'entre à la Fnac. Le temps d'atteindre le rayon sociologie, un vigile est sur mes talons. Nul doute qu'on m'a repérée dès mon arrivée. Je souris intérieurement : « Non, je n'ai pas de ceinture d'explosif ! »



11 h 20

Un tour à la mairie, histoire de voir si les services publics appliquent des règles particulières. J'y trouve beaucoup de professionnalisme malgré la gêne qui transparaît dans le timbre des voix. Au service de l'état civil, en revanche, on refuse de me délivrer le document que je sollicite si je ne retire pas mon « masque ». Je refuse, et je repars. Je croise une patrouille de policiers.

11 h 50

A l'office de tourisme, on me donne les informations demandées, mais plusieurs des employés chuchotent en faisant des signes de tête dans ma direction, cachés derrière une étagère de prospectus.

12 h 20

J'ai envie d'aller boire un café. Impossible. Il faudrait que je relève le niqab, sur ma bouche, et cela ne conviendrait pas au "rôle" que je tente d'interpréter. Je m'abstiens. J'ai une pensée pour toutes les femmes qui vivent cette frustrante expérience.

12 h 30

Nous entamons le retour. Vincent rencontre un policier, qui lui explique que toute la ville est en émoi à cause de « la femme en burqa ».

12 h 40

Nous revenons enfin au parking. Je retire enfin le voile et la tunique. J'étouffais.


Débat sur la  burqa    ( Public Sénat  )



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Publié dans Cadre de vie

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