On est toujours le "Gavache" de quelqu'un...

Publié le par Yvon Bertrand



Jean-Claude Carrière  est un prodigieux touche-à-tout.
Jean-Claude Carrière à la Bibliothèque nationale de France pour un cours sur le scénario dans le cadre du Festival Paris Cinéma


Scénariste de Luis Buñuel, Louis Malle, Milos Forman, Patrice Chéreau, Volker Schlöndorff et Jean-Luc Godard, il adapta Harold et Maude pour Jean-Louis Barrault et les douze heures du Mahabharata pour Peter Brook avant d'écrire la fameuse Controverse de Valladolid.

Entretien AUDIO de Jean-Claude Carrière

Son roman Le Retour de Martin Guerre fut un succès de librairie avant de triompher sur grand écran des deux côtés de l'Atlantique.

Il a mis sa plume au service de Juliette Gréco, Brigitte Bardot et Jeanne Moreau.

Il a conversé sur les mystères du temps avec Umberto Eco ou sur d'ardus problèmes d'astrophysique avec Jean Audouze et Michel Cassé.

En 1994, il a publié une passionnante discussion avec le dalaï-lama à propos de laquelle Pascal Bruckner écrivait dans son récent essai (L'Euphorie perpétuelle, Grasset) que c'était le seul entretien avec Sa Sainteté où l'interviewer paraissait plus intelligent que l'interviewé.


Mais il restait un registre dans lequel le prolifique Jean-Claude Carrière, 68 ans, était resté étonnamment discret, celui des souvenirs.

«Le Vin bourru fut certainement pour moi le livre le plus difficile à écrire. Apparemment, rien de plus familier que son enfance. En réalité, c'est bien plus compliqué que d'écrire sur le bouddhisme ou la physique nucléaire. Là, il faut passer à travers soi. C'est très dur d'être l'ethnologue de soi-même. Je voulais adopter un regard éloigné sur mes jeunes années. Mais comment? C'est supposer que soi n'est pas soi.»

Le Vin bourru évoque l'enfance de Jean-Claude Carrière entre 1931, date de sa naissance à Colombières-sur-Orb, dans l'Hérault,



et 1945, qui, avec l'irruption de la guerre sur les pentes du mont Caroux, marque la fin de la jeunesse.
Le vin bourru, c'est le premier vin tiré par les viticulteurs. «Mal affiné, il conserve la bourre de l'enfance, quelque chose d'inachevé, de provisoire, comme si le vin nouveau se protégeait, un moment encore, contre les agressions du monde.» Ce joli titre convient parfaitement au projet.


Ici, point de sentimentalisme, peu d'anecdotes, à peine çà et là un brin de nostalgie. Car celui qui fut classé hors concours, en 1932, au concours du plus beau bébé de Lamalou-les-Bains aborde de façon quasi anthropologique une société villageoise et un écosystème aujourd'hui disparus. D'où une écriture qui refuse l'esbroufe ou la joliesse du style pour coller à la vérité d'un village ordinaire du Midi viticole des années 30.

L'église et l'école, l'eau et le vin, la cueillette et la pêche, le sexe, la mort, la famille, les Gavaches,  la lecture, l'arrivée du train, la gestion des déchets, la guerre enfin, tous ces thèmes sont abordés d'une manière qui fait sens.

«Avant tout, je voulais être objectif: ne pas cacher mes émotions, mais ne pas les provoquer. Il me fallait reconstituer les faits, puis les classer. Car l'enfance n'a pas d'ordre, elle est désordonnée, polythéiste, protégée. Mais tout cela allait-il intéresser les gens? Pour qu'elle touche le grand public, une voix doit être particulière. Regardez Martin Guerre, cette histoire a fait le tour du monde, alors que le problème qu'elle pose, celui de l'identité réelle d'un homme disparu des années auparavant, ne se présenterait plus de nos jours compte tenu des percées de la science. Et pourtant, ça a marché. Enfin, chaque fois que j'évoquais un sujet, je prenais soin de me référer au présent. Il faut admettre que le territoire de l'enfance est perdu. Si on s'y réfère, c'est pour savoir si le petit garçon qu'on a été serait satisfait de l'homme qu'il est devenu

La réponse est oui, à une condition: que Jean-Claude Carrière nous donne la suite de ses souvenirs. Vite

Publié en l'An 2000, "Le vin bourru", recueil de mémoires paysannes (du pays), demeure un best-seller incontesté pour les lecteurs-locaux.

 

Effectivement, quand on connait bien la montagne du Haut Languedoc et, principalement, ses abord méridionaux, les vallées de l'Orb et du Jaur qui constituent la grande fracture marquant la chute sud du Massif Central, on ne peut que savourer, déguster les élans de mémoire de Jean-Claude Carrière lorsqu'il évoque son enfance dans le petit village de Colombières-sur-Orb.

  

Hors les anecdotes personnelles, l'auteur semble avoir écrit pour ces lecteurs-locaux, au nom de toutes celles et de tous ceux qui se souviennent et qui n'ont pas la plume facile.

 

Les psychologues et autres psys disent très souvent qu'une personne est, pour sa vie entière, façonnée par les premières années de son existence. Modèles parentaux, lieux, mœurs , coutumes, éducation et enseignement, événements... Tout contribue à façonner l'individu, à le marquer d'une empreinte consciente et subconsciente

 

Il  en est de même du langage et des mots

Comme par exemple celui de gavache....
( se prononce gabatch )

 

Jean-Claude Carrière écrit :

 

"... Juste un mot sur les gavaches (prononcer gabatchs). Ils vivent au nord, dans les régions froides et peu civilisées des montagnes centrales. Ils parlent patois et ne sont bons qu'à faire brouter les vaches. À certaines saisons ils descendent dans les terrains méridionaux comme travailleurs périodiques. C'est l'occasion pour nous de voir comme ils sont frustres et ignorants. Le gavache est la référence barbare. Il est ce qu'il ne faut pas être. À deux ou trois reprises, par suite de quelque bêtise, j'ai été menacé d'être envoyé dans la montagne pour garder les vaches avec les gavaches. J'en ai pleuré…. »

 

Dans notre région, gavache était  un terme méprisant , désignant celui qui parle une autre langue, qui vient d'une région voisine ou de la montagne

 

Je me souvient que le mot gavache était utilisé dans l’Hérault pour désigner les travailleurs du Tarn ou de l’Aveyron qui venaient vendanger.

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J’appris, lors d’une cure à Amélie-les-Bains, que pour un catalan les gens de l’Aude sont des gavaches

 

Depuis ce jour, je me suis dit "que nous étions toujours le  gavache  de quelqu’un  ", 

et j'ai adopté la devise d'Antoine de Saint Exupery qui figure en-tête de ce site

" Si tu est différent de moi, loin de me léser, tu m'enrichis "



Louis Bunuel vu par Jean-Claude Carrère

Jean-Claude Carrière nous parle du Mahabharata et de son enfance    ( vidéos )







Publié dans Histoire régionale

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